Je l’avais lu, il y a très longtemps. Sur ma colline au Portugal. En traversant le pont, alors que je songeais à la sculpture que je présenterais en réponse à l’invitation qui m’avait été faite quelques jours auparavant, le titre avait ressurgi soudain, remontant presque dans sa forme exacte. Au pied de l’escalier ? Au pied de l’échelle ? « Le sourire au pied de l’échelle » ? Oui, c’est ça.
A mon étonnement, je trouvai le livre, le lendemain, dans la première librairie où je le demandai : Henry Miller avait droit, pour la réédition de ce court texte, à une jolie couverture jaune, légèrement gaufrée.
Le soleil d’hiver s’attardait encore à la pointe de l’île. Je m’assis contre le tronc généreux d’un saule pleureur. Bien installé dans l’axe du soleil, je me coulai dans ma lecture.
Je retrouvai Auguste – l’Auguste qui avait fui le cirque qui lui avait donné la gloire puis la honte, la solitude, enfin la paix. Dans un songe étrange, il montait une échelle interminable qui s’étirait au-delà de la lune froide, vers les étoiles. J’ai senti la fine caresse d’une feuille du saule, sur ma joue. Le blanc de la page changeait d’intensité avec le balancement de la branche, penchée au–dessus de moi. L’ombre gagnait du terrain : j’immigrai vers le parapet. La Seine était grosse. La puissance du courant que je remontai un moment du regard ajoutait à la lenteur de ma lecture et à la douceur de la compagnie du clown intranquille.
Je pensais à l’échelle.
L’échelle ouvre l’espace.
L’échelle délimite le passage.
L’échelle, assure-t-on, donne la mesure des choses.
L’échelle mène ailleurs.
C’est ainsi, il y a une quinzaine d’années , que je concluais la longue série de sculptures en béton coloré que j’avais menée sur le thème de l’Echelle de Jacob et qui, dans ses questionnements, s’était imposée à moi.
Aujourd’hui, l’escalier me fait signe. Escalier et échelle sont parents. L’escalier est à l’échelle ce que la route est au sentier. Nous sommes tous amenés à emprunter les deux. Selon les circonstances, choisies, imposées, ou acceptées, la hauteur des barreaux ou la raideur des marches varie. J’ai pu, pour l’occasion, aborder ces variations avec le sourire.
Certains escaliers ou certaines échelles, je suis allé les chercher, d’autres sont venus à moi. Qu’il est précieux, cet instant où, au cours du travail, plus précisément, au cours du faire, vous vous arrêtez avant terme, avant le terme que vous vous étiez assigné, parce que l’œuvre, devant vous, vous souffle « Je suis là ». Poursuivre, au nom de la maîtrise absolue ? Ou bien, entendre ce qui, à travers vous, s’offre ? Et sourire de soi ?
Paris 2007