Edgar Cappellin sculpte la passe, la pure traversée, l’équilibre précaire, le déséquilibre stable qui annonce l’autre épreuve… Comment ne pas le reconnaître cet artiste qui trouve dans la matière ce que j’attrape au fil des lettres : le partage de l’être (entre l’homme et lui-même, entre lui et son monde) en formes, lumières, couleurs, gestes furtifs de la matière, apparitions d’altérité.
Il trouve l’entame, le passage, et il l’habite par une pensée qui « tient » de toute nécessité ou qui retient – mémoire – tout ce dont elle suspend l’effondrement ; une pensée qui doit « tenir » de toute la tension concentrée, comme ces lames bleues de ciment qui telles un horizon conquis tiennent à un fil de fer, ou ces troncs d’arbre, à la faille qui les porte ; ou d’autres gestes que ce poète porte à leurs points de vérité et de rupture car il cherche dans sa matière où poser ses questions d’être et quand il trouve c’est un geste essentiel, de nous autres terriens, qui trouvent en lui son messager.
Comme cette échelle de Jacob toute fine qui implante et déplace dans notre espace l’entre-deux essentiel, ciel et terre, sur lequel elle nous fait marcher à l’infini.
Quiconque se coltine une matière non pour s’y soumettre mais pour s’y découvrir, et y trouver le passage de sa vie, peut beaucoup apprendre de cette intense genèse du corps qui convoque tous les miroirs pour les franchir – le temps d’un coup d’œil réciproque où l’homme et la matière se sont compris.
Et ceux qui sont rivés à leur bureau bien équarri devraient avoir non loin d’eux une table bleue de Cappellin, dont la brisure peut leur rappeler que dans tout travail, quelque chose doit être brisé, faute de quoi c’est la vie même qui se brise dans son équarissure.
Daniel Sibony
Préface du catalogue Edgar Cappellin/
Paris 2000