D’où viennent les mots ? Sont-ils l’ombre portée de la matière ? Ou bien une trouée, une percée dans la masse confuse ? Ou bien encore, une poussée saillie du vivant ? Du concret, si fort qu’il demande à être nommé, à recevoir un nom, une forme.
Les mots dira-t-on, c’est mobile, c’est vivant, c’est impalpable, ça ne s’enferme pas dans la matière.
C’est autre chose que des blocs de ciment ou des carrés de terre. Et pourtant… insidieusement ou brusquement la matière les rattrape. Elle tend à les absorber à nouveau comme pour les engloutir au sein du magma. Les mots doivent sans cesse résister, c’est-à-dire trouver une nouvelle incarnation, un ancrage nouveau tout en cherchant à s’émanciper de leur gangue. Périodiquement les mots sont assaillis, mitraillés, polis. Qu’ont-ils à dire alors ? Qu’en reste-t-il ?
Je veux assister à la germination du mot, à l’éclosion de la lettre, à l’évidence du signe nouveau-né. Comment pousse hors du sol la lettre A ; comment s’étire et se creuse un U ; comment reste en suspens un e ?
Lors de mon court séjour au Liban au mois de mai 95, j’ai reçu avec force le choc de ce pays ancien.
Dans ce décor trop réel, traversé de palais éventrés, d’arbres têtus écartant les bétons ramollis, de chantiers poussiéreux et fébriles bordés de roses trémières, comment ne pas se remémorer le temps où cette terre inventait l’alphabet ? Où l’homme forgeait une écriture pour devenir léger.
Comment ne pas vouloir retrouver l’acte nécessaire qui fait naître le sens ? Entrer dans la matière pour en trouver l’écho. Par le corps, par le signe, par la lettre. Au sein du vacarme retrouver le souffle.
Octobre 1995