C’est la guerre, la vraie, sans merci et sans grâce, et des éclats d’obus, des éclats sans but, avant d’atterrir sur le sol, ont été comme captés par l’artiste par Edgar Cappellin, artiste de la lettre autant que de la matière. Il les a captés avec des arbres sur les branches desquels ils apparaissent comme un nom mis en morceaux, Ukraine, littéralement déchiqueté ; oui, les lettres mêmes de son nom, tout comme son corps collectif, sont ravinées, tantôt en creux, tantôt en plein, plein d’isolement et de détresse.
Pourquoi est-ce l’arbre qui a retenu ce vol de lettres en éclats, cette mise en morceaux de l’être ?
L’arbre, unique et pluriel, est notre repère essentiel (d’ailleurs notre corps contient deux arbres : vaisseaux et nerfs intriqués) ; l’arbre c’est notre temps de pause, notre instant de repos pour penser ce qui se passe quand on est dans l’impasse. (D’ailleurs dans la langue biblique, le mot arbre – ‘éts – est à la racine du mot idée : ‘étsa) L’artiste suggère de s’assoir et de penser, au pied de ses arbres, littéralement chargés des fruits de notre immaturité ; celle d’avoir produit cette impasse gigantesque où deux entités en conflit n’ont pas trouvé de tiers qui puisse les faire s’entendre et se départager.
Obstinément, l’artiste cherche l’espoir, car la lumière et la beauté de ses couleurs nous inspire cette évidence :
L’arbre est aussi un recours, il porte haut le nom éclaté de la détresse Ukraine ; son tronc puissant et protecteur chargé de lettres abrite leur dispersion et plonge leur message dans le ciel. Il s’improvise arbre de vie, facteur de vie dans ce désastre, délivrant son message de rappel dans le vide cosmique, tout comme la catastrophe.
Il porte des lettres en creux, des lettres creusées, ravinées mais tenaces qui permettent l’autre écriture, celle qu’on attend avec espoir.
Parfois elles se redoublent et insistent sur les branches noueuses qui les portent vers des maisons, refuges possibles, littéralement. Des bâtiments qui accueillent se branchent sur l’arbre à lettres messager, prennent le relais de l’être éclaté dont témoignent ces lettres de noblesse, en quête de lieu qui arrête leur suspens.
Ce travail de la lettre est un baume essentiel à la blessure sans fin.
Daniel Sibony